Kigali-city
Il ne se passe pas une seule journée à Kigali sans que je sois frappée par une nouveauté : un building est apparu sur l’emplacement d’un terrain vague. Un trottoir semble s’être construit par magie en une nuit, sur le bord d’une route complètement nue la veille. Deux supermarchés (géants par rapport aux superettes de d’habitude) ouvrent leurs portes dans le centre-ville : les Rwandais se ruent à l’intérieur plus dans une démarche de curiosité que dans la perspective de dépenser. On creuse, on frappe, on bâtit, on assemble. Femmes et hommes. Sur le bord des routes ou perchés en équilibre sur de modestes échafauds de bois.
Il semble que la ville soit en pleine mutation, en pleine transformation. Comme si, telle une chenille elle tentait de se débarrasser de sa vieille peau pour montrer à tous et à toutes l’éclat de ses couleurs et de sa toute jeune modernité. C’est étrange de se trouver au cœur de ce mouvement permanent, de ce souffle chaud, pour une européenne habituée aux bâtiments de plusieurs siècles, aux centre ville qui sont certes rénovés mais jamais rebâtis des pieds à la tête. Pour celui qui visite la ville aujourd’hui et revient dans ne serais-ce que trois ans, Kigali aura un nouveau look… Même pas sur qu’il retrouvera les chemins empruntés alors, les endroits côtoyés, les maisons habitées.
Cette métamorphose rapide et efficace ne se fait certes pas sans cicatrices. Pour faire de la place dans une capitale de 1 million d’habitants, capitale d’un pays qui connaît d’ailleurs la densité humaine la plus élevée de l’Afrique subsaharienne, ce n’est pas une mince affaire. Alors voilà notre gouvernement obligé d’expulser les pauvres de leurs modestes maisons de brique et de tôle. De toutes façons cela fait sale et mauvaise impression. On expulse, on dédommage les gens, on rase, on reconstruit à neuf des vrais buildings, on invite les gens qui peuvent se le permettre ou les entreprises qui cherchent des bureaux. Pour avoir abordé le sujet avec plusieurs personnes (rwandais et étrangers confondus) je comprends que la réalité est un tantinet plus compliquée que la version officielle (on dédommage amplement les gens expulsés, on leur laisse du temps et on leur donne un autre terrain). Les gens sont expulsés rapidement et n’ont pas toujours d’endroit ou aller : les terrains qu’on leur accorde (si on leur en accorde !!) sont bien sur très éloignés de l’endroit qu’ils quittent, plus proche du centre-ville. De plus l’argent promis comme dédommagement, censé permettre à ces gens de reconstruire une maison ou louer un endroit, met des mois et des mois à arriver. Un ami journaliste a écrit un article sur le sujet mais aucun journal n’a voulu le publier.
Plusieurs fois maintenant je suis passée dans des endroits de Kigali que j’aime particulièrement, accompagnée d’amis rwandais qui me disaient fièrement : «Dans quelques mois ou années ces vieux bâtiments seront enfin rasés et on pourra avoir une vraie ville moderne ! ». Je n’ai pas osé leur dire que si j’aimais tellement me promener dans Nyamirambo ou dans la rue des épiciers du centre-ville c’était justement grâce à ces vieux bâtiments tous décolorés et pourtant si vivants qui longent les rues. La bassesse et la modestie des habitations, la vie qui s’en dégage…les couleurs encore et toujours. Après réflexion je me suis rendue compte que j’aimais m’y promener mais y vivre serait une autre part de manches. Raser ces endroits serait une perte d’identité importante pour ces quartiers de Kigali. Pourtant il semble qu’il faille passer par là pour améliorer le niveau de vie et la qualité des infrastructures. Comment alors concilier amélioration des maisons, des rues, de la ville en général et la sauvegarde d’une identité, d’une histoire à l’échelle d’un quartier, de la ville ? Je ne pense même pas si ceci soit vraiment le souci principal des résidents des quartiers dont je parle. Pourtant à posteriori détenir un certain patrimoine n’est-il pas important pour un pays et un peuple ? J’espère que les rwandais ne laisseront pas cette question de coté.