Les relations entre la France et le Rwanda sont tendues. Ceci n’est un secret pour personne. En tous cas ici. Les relations diplomatiques sont rompues depuis 2006 à la suite d’un rapport rendu par un juge français, qui inculpait des membres de l’actuel gouvernement (dont le président) d’avoir commis des exactions contre des populations civiles. Tout ceci est bien compliqué et fait intervenir beaucoup plus de facteurs et d’acteurs que ce seul rapport. On peut indiquer le rôle de la France dans le génocide, sa générosité en tant que vendeuse d’armes, son savoir logistique et technique dans la formation de milices. Bref tout cela pour dire que l’ambassadeur français à Kigali s’est fait botter les fesses il y a deux ans et n’a pas eu le droit de revenir. Le centre d’échange culturel franco-rwandais a fermé et les gentils touristes français voulant venir ici doivent se soumettre à une épreuve sportive. Marine l’a fait !
Bien avant de poser un pied sur le sol africain, il faut remplir un formulaire sur le site Internet du gouvernement rwandais. Après plusieurs mails échangés, envoi de ma convention de stage, intervention de Michael auprès du service d’immigration, je reçois enfin ma facilitée d’entrée. Naïvement je m’imagine qu’on me délivrera sans problème un visa moyennant la modique somme de 60 dollars à l’aéroport, un visa valable pour trois mois et fin de l’histoire ! Ah non Marine, l’Europe est derrière toi ! Franchir les frontières sans papiers, sans contrôles, sans files, sans problèmes c’est un grand privilège même si on ne s’en rend pas compte. Mais tu es au Rwanda !
Donc j’arrive, je paie (60 dollars quand même), on me donne deux semaines au Rwanda (merci !!!). Je dois aller faire une demande de visa au bureau de l’immigration. Et ça repart pour un tour ! J’y vais donc. Une seule personne à la réception. Choisit à la tête du client qui il veut écouter en premier. Je tire pourtant un ticket et attends mon tour. Bientôt je comprends que ce n’est pas la bonne solution. On n’attend pas son tour : on s’impose ! Je passe, on me demande de remplir un formulaire, de ramener pleins de documents différents (tous déjà envoyés par mail bien sur !!), de revenir ! Je reviens quelques jours suivants, laisse tous les documents. On me dit à vendredi ! Vendredi matin je me lève tôt, monte derrière un mototaxi et part deux collines plus loin retrouver mon cher réceptionniste de l’immigration. J’attends encore…enfin il me voit !! Salut Salut Murabeho !! Ah il sourit parce que j’essaye de parler Kinyarwanda est-ce que c’est dans la poche ?
« Mademoiselle, vous ne nous avez pas donné votre ordre de mission, revenez avec ce document. » J’explique : stage, études, pas payée, juste aide entreprise. « Alors revenez avec votre convention de stage ». Et Marine remonte sur la moto repart à la maison, prend sa convention, remonte sur la moto, retourne là bas. Quand je lui montre la convention, il me dit « Mais enfin c’est en allemand ». Je lui explique que je peux lui traduire, je lui montre les mots qu’il peut reconnaître du français. « Non non non maintenant vous devez aller à l’ambassade d’Allemagne et vous ferez traduire le document ». Là je pete un plomb ! Je lui dis que je viens pour la quatrième fois, que je ne vais pas poser une bombe ici mais que je vais être très en colère (j’aurai pu l’étrangler !!). Je crois qu’il préfère éviter le scandale, il part, revient et me dit que c’est bon, que je dois maintenant remplir la deuxième épreuve : aller payer mon visa. Yes !
Payer, bon. Bien sur c’est dans un autre ministère. Et c’est 25.000 Francs rwandais (environ 30 euros). Lundi matin (parce que tous les ministères ferment à 15h30 le vendredi et décrètent le week-end ouvert,donc il est déjà trop tard pour moi), je me lève à 7h00, enfourche une moto (je commence à vraiment aimer la moto…qui l’eu cru !!), donne la direction (National Revenue Authority) et je me laisse réveiller par le vent. Arrivée là bas, on m’annonce gentiment que je suis au mauvais endroit, qu’il y a un autre bureau de ce ministère en ville (donc à deux pas de là ou je vis). Je souris, plus rien ne m’étonne… ! Je remonte, brrrrrrrr, roule roule moto, une, deux collines et me voilà à bon port. Hourra on accepte mon argent après m’être battue pour garder ma place dans la file. On me donne un reçu et je dois retourner à l’immigration. Rebelote, cette fois je prends le bus, la moto ça commence à faire cher. On prends mon reçu (cette fois c’est une autre dame qui est très sympa) et on me dit de revenir mercredi. Mercredi suivant Marinchen revient à la charge et tamtamtamtam (roulements de tambour…) on lui donne son passeport avec un visa rwandais dedans : il n’est même pas beau ! Mais il est à entrées multiples, cela veut dire que je pourrai aller au Burundi et en Ouganda (youpi !)
Si je compte bien je suis allée 6 fois à l’office d’immigration pour recevoir ma récompense ! Je suis maintenant infaillible sur le système de visas au Rwanda et j’ai eu la chance inespérée d’expérimenter les rouages de l’administration rwandaise. Les pauvres allemandes qui travaillent avec moi : elles n’ont même pas besoin de visa pour rester ici trois mois. Aucun déplacement, rien à payer, juste montrer son passeport et ne pas se faire de soucis. Heureusement que je suis française sinon je n’aurai pas connu tout cela.
Plus sérieusement, j’ai du coup pas mal réfléchi sur ma chance d’être née là ou je suis née. J’ai pensé à la façon avec laquelle je voyageais depuis mes 15 ans. Où je veux, quand je veux, sans me demander si c’est possible ou non. Ca ne m’était pas venu à l’esprit qu’on puisse me refuser d’aller dans un pays. Pourtant c’est ce que nos pays font régulièrement avec des dizaines et des centaines et des milliers de demandeurs de visas. Quels milliers de kilomètres séparent nos mondes. Je suis protégée, quoiqu’il arrive. Parce que je suis née en France, parce que j’ai des papiers européens, et en plus de l’argent. C’est une autre paire de manches pour les jeunes rwandais qui voudraient venir faire un stage en France.